Translate

domingo, 14 de agosto de 2016

Nos sociétés abusent de la douceur ! Nos médias pleurnichent davantage qu’ils n’analysent. Tout est larmoyant.


La vertu du courage


par DELSOL Chantal

Propos recueillis par jean sévillia

Pendant tout l’été, à l’occasion des grands entretiens, nous explorons les grandes vertus morales traditionnellement distinguées par la philosophie classique : successivement la prudence, la foi, la tempérance, l’espérance, la force d’âme, la charité et la justice. Cette semaine : la force d’âme.


"Libérale-conservatrice" : ainsi Chantal Delsol qualifie-t-elle la famille intellectuelle et politique dans laquelle elle se reconnaît, revendiquant un positionnement peu répandu dans le monde des idées. Philosophe, docteur ès lettres, elle est professeur à l’université de Marne-la-Vallée où elle dirige l’Institut Hannah-Arendt qu’elle a fondé en 1993. En 2007, elle a été élue à l’Académie des sciences morales et politiques. Spécialiste de philosophie politique et d’histoire des idées, cette femme courageuse a toujours manifesté son indépendance à l’égard de l’idéologie dominante. Hier farouchement anticommuniste quand la mode était au marxisme, Chantal Delsol résiste aujourd’hui à toutes les dérives issues de la "pensée 68". Auteur d’environ 25 essais et romans, cet esprit libre publie dans Le Figaro et dans Valeurs actuelles des chroniques incisives où elle n’est guère indulgente avec le pouvoir socialiste, et où elle pourfend le politiquement correct.

Comment la philosophie antique définissait-elle la vertu de force ?

Il y a un dialogue de Platon sur le courage : le Lachès. La force est la vertu du cœur, entendu au sens où l’on dit "mettre du cœur à l’ouvrage", au sens de la hardiesse et de la vaillance. Les Grecs entendent la vertu comme "disposition au bien". Dans ce dialogue, Socrate définit ainsi la force : "une certaine fermeté de notre âme". Dès le début, il refuse de limiter le courage-force à l’intrépidité guerrière, ce que les Grecs appelaient andreia, qui ­signifie aussi virilité. Proposant comme d’habitude de ­déceler l’homme courageux pour pouvoir découvrir la vertu qui l’habite, il le décrit comme celui qui demeure ­intrépide devant la maladie, devant la pauvreté, devant les peines et les craintes… et même "ceux qui ont l’énergie de combattre leurs propres convoitises ou leurs plaisirs".


On voit bien que le courage nécessite la réflexion et une forme de sagesse - ce que les anciens appelaient la prudence. Il ne s’agit pas de se jeter au-devant du danger comme un fou. Mais de résister calmement et sans concession aux dangers de la vie. Ce dialogue platonicien est si vivant, si émouvant dans sa description d’une belle humanité, que le philosophe Leo Strauss raconte : "Lorsque j’eus 16 ans et que nous lûmes en classe le Lachès, j’ai conçu le projet, ou le souhait, de passer ma vie à lire Platon et d’élever des lapins à la campagne, tout en gagnant ma vie comme receveur des postes."

En acceptant la force dans la liste des vertus cardinales, le christianisme lui a-t-il donné un sens différent ?

Il faut alors évoquer Thomas d’Aquin : la force est une fermeté inébranlable (qui ne se laisse pas détourner, quel que soit le péril ou la tentation) vers le bien et la justice. Ici la force est l’un des dons de l’Esprit ­saint. Lorsque Matthieu dit : "le royaume des cieux exige la force, et ce sont les violents qui s’en emparent", il faut comprendre que rien n’est ­accordé aux mous, aux indifférents, aux désinvoltes, aux négligents. Le Royaume n’est pas un ticket gagnant dans une loterie, ou une pépite qu’on a la chance de ramasser dans le caniveau. Il n’attend que les intrépides qui le cherchent de haute lutte, sans jamais céder un pouce de terrain. On voit que le courage-force est devenu la qualité privilégiée pour atteindre le salut.

Quelle est la relation entre la force physique et la force morale, entre la force du corps et la force d’âme ?

Il s’agit toujours d’une énergie, mais dans les deux cas son sens diffère complètement. La force physique n’est qu’affaire biologique et ne signifie que ce que l’esprit lui prête : elle est tributaire de la liberté qui la déploie, et ne prend sens que par elle. La force physique déployée par un animal n’a pas de signification : on ne dit pas que l’animal est "courageux" ou "pusillanime", sinon de façon dérivée, en faisant de l’anthropomorphisme. L’animal déploie sa force au gré de ses besoins et en utilisant son instinct et son expérience des situations. Il n’a pas de vertu parce qu’il n’a pas de liberté. Chez les humains, la force physique seule se déploie selon l’instinct, les humeurs, les passions ; la force d’âme se déploie selon la liberté : si tout va bien, c’est elle qui conduit la force physique, qui la commande et la maîtrise.

Comment distinguer la force de la violence ?

La force est un état, la violence, un acte. Nous avons tendance à comprendre la violence comme une force non maîtrisée, et dominée par des pulsions obscures, par des passions, ou par des instincts. L’alcoolique peut être violent, ou bien celui qui est addict à une drogue, ou encore l’amoureux trahi qui ne sait pas se dominer. La force peut accomplir les mêmes brutalités que la violence, mais elle est maîtrisée et vouée à un but qui la dépasse et dont elle n’est que le moyen. De plus, elle est censée obéir à un but louable et pur. Prenons des exemples. Un amoureux trahi frappe sa compagne dans un geste de colère : il aura les circonstances atténuantes. Un raciste s’emporte contre un homme de couleur et le frappe : son acte étant à la fois raisonné et odieux, il encourt le maximum. Un policier frappe un manifestant qui nuit gravement à l’ordre public : il agit en vue du bien commun ; et à condition qu’il n’y mette ni haine ni ardeur excessive, on estime que c’est son métier. Lorsque Max Weber définissait l’Etat comme "l’instance qui détient le monopole de la violence légitime", il voulait bien dire ceci : la force brutale ne devient légitime que détenue par l’instance légale, et en même temps vouée au bien commun (car une instance légale peut enterrer le bien commun, voir le nazisme et le communisme). Dans un Etat de droit, on ne se fait pas justice soi-même. Mais si l’Etat devient tyrannique, le peuple reprend son droit à utiliser la force. C’est du moins ainsi que la tradition occidentale voit les choses, depuis ses origines et tout au long de notre histoire.

Le processus de civilisation consiste à tout faire pour que la parole en grande partie remplace la force. Là où les individus ont peu de mots, la violence est reine. Le but d’une société civilisée consiste donc à donner des mots, à rendre capable de débat et de dialogue. Et néanmoins les sociétés humaines ne peuvent pas se passer de la force, qui représente le dernier rempart lorsque tous les autres ont cédé. Un individu désespéré emploie la force, parfois d’ailleurs contre lui-même, et une société aussi. C’est pourquoi un gouvernement ne doit jamais laisser se désespérer Billancourt (et Billancourt change de visage selon les époques). Car un jour ou l’autre, comme disaient les vieux autrefois dans les campagnes "les chassepots partiront tout seuls."


..................


Lire la suite: www.magistro.fr

No hay comentarios:

Publicar un comentario